Thomas, vous êtes Ingénieur Civil Architecte et fondateur de CATS engineering, qui propose des prestations d’expertise et de conception pour les métiers techniques du spectacle vivant. Par ailleurs, depuis plusieurs années, vous intervenez sur nos formations Levage, Accroches acrobatiques et Agrès de Cirque.
Ensemble, nous allons évoquer aujourd’hui le certificat d’aptitude médicale pour les techniciens du spectacle et de l’évènement.
► Thomas, vous souhaitez informer et alerter notre profession sur les mentions spécifiques qui doivent obligatoirement figurer dans l’avis d’aptitude médicale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il est primordial que les professionnels, employés comme employeurs, prennent conscience de l’importance de la formulation sur leur certificat médical de la réelle aptitude à certains métiers. Pour notre secteur du spectacle vivant, cela concerne le domaine des travaux en hauteur au sens large et celui des conduites d’engins, avec en particulier des engins de type nacelles PEMP et les chariots élévateurs et télescopiques. Ces catégories sont définies par le Code du Travail et les recommandations comme nécessitant une aptitude médicale spécifique. Il faut donc que la mention apparaisse de façon spécifique sur le document d’aptitude au travail.
Dans le cas où les employeurs le savent, mais pas les employés, cela pose un énorme problème d’employabilité à nos professions. En effet, si au moment de l’embauche, l’employeur réalise que l’aptitude médicale n’est pas explicite alors que l’intermittent pensait qu’il était en règle, cela provoque de grandes difficultés le Jour J. L’employeur qui comptait sur une dizaine de personnes pour les opérations du jour, peut se retrouver avec 4 à 6 intermittents en moins pour les tâches à exécuter, parce qu’en fait ces employés ne sont pas déclarés aptes, tel que l’exige la règlementation.
► Si les mentions ne sont pas explicites dans l’avis d’aptitude médicale, quelles peuvent être les conséquences ?
Les conséquences sont majeures et à un double niveau :
- La première conséquence est très directe : l’employeur devra se passer des employés pour la journée de travail en question. L’intermittent lui-même s’est déplacé pour rien car il n’est pas employable. Il perd une journée de travail, une opportunité d’embauche. Et l’employeur qui comptait sur lui, est dans une situation problématique avec un effectif moindre que prévu.
- La deuxième conséquence est d’ordre pénal et légal pour l’employeur exclusivement. Si l’employeur recrute malgré tout ses employés pour des tâches clairement identifiées comme dangereuses au titre du Code du Travail, à savoir les travaux en hauteur et le pilotage d’engins, automatiquement il se retrouve avec des responsabilités pénales augmentées du fait qu’il habilite des techniciens dont l’aptitude médicale n’est pas attestée. S’il se passe quoi que ce soit, et notamment si l’employé se retourne contre l’employeur, celui-ci est sûr d’être en défaut puisque l’aptitude médicale n’était pas attestée.
► Y a-t-il un risque que les médecins du travail ne mentionnent pas les bons termes dans les documents ?
Oui, il y a un risque énorme que le médecin du travail ne mentionne pas les bons termes.
Le premier point sur lequel il faut insister, c’est que le médecin du travail ne connaissant pas explicitement l’état du droit dans ce domaine, peut penser que l’habilitation est du ressort de l’employeur. L’employé peut donc quitter la visite médicale sans son aptitude attestée parce qu’il ne se serait pas réellement entendu avec le médecin sur ce qui était demandé et que le médecin aurait confondu la notion d’habilitation et la notion d’aptitude. Cela arrive fréquemment, de nombreux intermittents témoignent du fait qu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient alors qu’ils en avaient fait la demande.
Le deuxième point vise l’explicitation de l’aptitude. Beaucoup de médecins ont répondu à des employés que le seul fait que la fiche de poste était intitulée « rigger » suffisait à attester de l’aptitude. C’est totalement faux et légalement faux ! L’aptitude doit être explicite dans le certificat d’aptitude. Il faut donc que la mention soit écrite en toutes lettres. Par exemple :
« Madame Y est apte aux travaux en hauteur de toute nature dont le port du harnais antichute et l’accès sur cordes ».
« Monsieur X est apte au pilotage de toute forme d’engins dont les nacelles élévatrices et chariots élévateurs ».
Cette formulation explicite va aussi permettre à l’employé, s’il acquière des compétences supplémentaires dans les deux ans suivant sa visite médicale, de les intégrer facilement à son cursus sans avoir à repasser l’aptitude médicale, puisqu’il aura déjà été déclaré apte. Les termes de « rigger », de « scaffolder » ou autres métiers n’incluent en rien la dispense pour le médecin du travail de faire figurer en toutes lettres les aptitudes demandées par la réglementation.
Le troisième point concerne l’impression que le médecin pourrait avoir de ne pas disposer d’une case où cocher ces aptitudes au niveau informatique. Or, le médecin a toujours une forme de case dans le certificat où il peut établir des remarques libres. C’est dans cette zone de remarques libres que le médecin peut assez facilement rédiger la phrase qui précise l’aptitude.
Dernier point, de nombreux médecins essaient de ne pas déclarer la personne apte en utilisant une double négation. Ils vont plutôt dire que la personne n’a pas de contre-indication à la pratique des travaux en hauteur. Ce qui juridiquement ne tient pas la route puisqu’on demande au médecin de déclarer la personne apte à ce type de poste. Il faut donc que le mot d’aptitude apparaisse et que ce soit une déclaration affirmative et non pas une déclaration par une double négation. Un employeur pourrait tout à fait ne pas considérer qu’une double négation lui suffise en termes de reconnaissance de l’aptitude. Après tout, l’employeur n’a pas à être capable d’interpréter un avis médical en concluant de lui-même qu’une non contre-indication vaut une aptitude. L’employeur doit s’arrêter aux éléments de base : apte ou non apte !
► Conseilleriez-vous aux techniciens du spectacle et à leurs employeurs d’effectuer des démarches spécifiques en ce sens ?
Oui, je conseille aux techniciens et employeurs de faire au moins trois démarches importantes.
- Une démarche de formation, de communication et de compétence par laquelle ils échangent entre eux et s’informent de l’importance de ces obligations et de la demande qui doit être faite au médecin du travail – en amont et pendant la visite – de bien faire figurer ces termes.
- Le deuxième point à conseiller aux employeurs et intermittents, c’est de pré-écrire les phrases qu’ils veulent voir figurer dans le certificat pour éviter que le médecin rédige des phrases qui ne correspondent pas aux attentes et qui puissent laisser penser à l’employé qu’il est en règle. Il n’y a pas de présupposition de la compétence du médecin en termes de réglementation dans ce domaine. La réalité montre souvent le contraire malheureusement. Il est bon que l’employeur donne une sorte de fiche aux employés qui vont se présenter à la visite médicale ou que les employés en autonomie soient conscients des phrases qu’il faut faire stipuler pendant la visite médicale. Ces phrases doivent être relativement ouvertes.
Par exemple, le médecin n’a pas le droit de demander le CACES de l’employé pour vérifier, sur base de ce document, qu’il doit déclarer son aptitude. Après tout peu importe, si à la date de sa visite médicale, Monsieur X est en ordre de CACES ou non. Peut-être va-t-il passer son renouvellement de CACES dans deux semaines ? Quand il se rend à la visite médicale, c’est l’occasion pour lui de demander l’aptitude indépendamment du CACES en cours et de demander une aptitude relativement ouverte.
Autre exemple pour les travaux en hauteur :
« Madame Y est apte à toute forme de travaux en hauteur incluant le port du harnais antichute et le travail en suspension ».
Cette phrase ouvre bien la gamme de tout ce qui va être possible ensuite en matière d’usage des harnais antichute. Avec une phrase moins ouverte telle que : « Madame Y est apte au port du harnais antichute », les conséquences concrètes ne tarderaient pas. Quand Madame Y travaillerait sur échelle ou sur échafaudages, elle ne serait pas apte. Or, ce sont bien des travaux en hauteur. Mieux vaut choisir une phrase ouverte, une aptitude générale à tout travaux en hauteur, dont une série de matériels qu’on peut préciser.
- Le dernier point a trait au « SIR », le Suivi Individuel Renforcé.
Des médecins du travail peuvent reprocher à l’employé, l’intermittent ou l’employeur de ne pas avoir prévenu que l’employé nécessitait des visites renforcées au titre du « SIR », qui prévoit une visite tous les 2 ans et non tous les 5 ans. Cela présuppose une sorte de compétence de l’intermittent. Or, l’intermittent n’est pas sachant en matière de médecine du travail. Donc, il vaudrait mieux que le médecin soit toujours en éveil sur le sujet et qu’il pose à l’intermittent la question de la nécessité pour certains types de postes d’être apte ou pas aux travaux en hauteur. Il n’est pas question pour le médecin de supposer que, parce qu’un intermittent est déclaré « sondier », il n’a aucune de ses tâches qui ne soient liées au travail en hauteur. Or, c’est plutôt même l’inverse ! Beaucoup de professions de notre secteur vont être impliquées d’une façon ou d’une autre sur du travail en hauteur, soit parce qu’elles accèdent à des tours d’échafaudages, soit parce qu’elles ont à faire du travail en échelle ou avec des gazelles, soit parce qu’elles sont en situation d’avoir à porter le harnais antichute. Cela concerne même des personnes qui sont a priori dans la lumière, dans le son ou dans d’autres disciplines ! Il faudra que le médecin pose systématiquement la question, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
J’encourage les intermittents, ayant besoin que leur aptitude en travail en hauteur soit explicitement déclarée, à prévenir la médecine du travail qu’ils ont besoin d’un Suivi Individuel Renforcé.
L’employeur, qui envoie ses employés permanents à la visite médicale, a d’autant plus de capacités à anticiper ce phénomène. Comment ? En faisant une déclaration écrite avant la visite où il stipulera que son personnel est impliqué sur du pilotage d’engins ou de travail en hauteur. Il demandera que ces facteurs soient pris en compte par la médecine du travail en déclarant l’aptitude lors de la visite et aussi en basculant ces employés sur le SIR.
► Conseilleriez-vous aux techniciens du spectacle de demander à leur service de santé au travail un Suivi Individuel Renforcé « SIR » ?
Oui, il faut leur conseiller même s’ils n’ont pas l’impression que c’est important. Par exemple, pour un « sondier » qui ne porte le harnais qu’occasionnellement. Il va donc falloir aussi informer les intermittents des professions qui se sentent loin de cette problématique en leur disant :
« Non, vous n’êtes pas loin de cette problématique, si à n’importe quel moment de l’année, vous êtes amenés à vous retrouver en situation de travailler en échelle, travailler sur échafaudages ou d’avoir à porter le harnais antichute, sachez anticiper ce besoin en demandant un Suivi Individuel Renforcé. Et il n’y a quasiment que vous, intermittent, qui pouvez le faire auprès de la médecine du travail. Comme vous êtes multi-employeurs, aucun de vos employeurs en particulier ne va contacter la médecine du travail en votre nom. Alors faites-le ! ».
Pour aller plus loin, voici quelques liens utiles :
- Articles référents du Code du travail Légifrance
- www.droit-travail-france.fr/suivi-individuel-renforce.php
- www.inrs.fr/demarche/prevention-medicale/ce-qu-il-faut-retenir.html
- www.inrs.fr/demarche/prevention-medicale/ce-qu-il-faut-retenir.htmlinrs.fr/demarche/prevention-medicale/ce-qu-il-faut-retenir.htmlrs.fr/risques/chutes-hauteur/suivi-medical-travail-hauteur.html
- www.editions-tissot.fr/doc/cst/tableaux-synthese-sante-securite-travail/les-differentes-visites-medicales-7170
- https://support.side.co/fr/articles/3392130-comment-ajouter-mes-caces-et-mon-certificat-medical-s-i-r-a-mon-profil-et-sous-quels-criteres
- www.santetravailessonne.fr/suivi-salaries-titulaires-dun-caces
- www.santetravailessonne.fr/suivi-individuel-renforce
Propos recueillis par Katia Massol